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La Musique De Carnaval Et L'inframonde (Bolivie)


Enviado por   •  28 de Abril de 2014  •  4.063 Palabras (17 Páginas)  •  395 Visitas

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LA MUSIQUE DE CARNAVAL ET L'INFRAMONDE CHEZ LES JALQ'A

(BOLIVIE)

Communication présentée dans le colloque « Penser la musique, penser le monde »

Laboratoire d’ethnomusicologie CNRS (UMR 7186). Paris, 1996.

Rosalía Martínez

Les musiques des Jalq'a , qu'elles soient jouées dans les lieux de boisson ou lors de la conquête amoureuse ou encore dans les divers rituels de l'année, sont systématiquement mises en relation avec la vision andine de l'univers. Ces relations se manifestent dans les représentations qui sous-tendent les pratiques musicales, mais aussi au niveau du texte musical lui-même. En effet, certaines caractéristiques centrales de la construction sonore, comme, par exemple, son aspect plus au moins structuré, sont associées par les Jalq'a aux "mondes" "du haut" (janaj pacha) ou "du bas", (ukhu pacha) les deux parties opposées et complémentaires de l'univers .

Nous savons très peu de choses sur la manière dont les andins pensent ces "mondes". Ils n'apparaissent pas conçus comme des sphères indépendantes, séparées de celle des vivants, mais comme des références à des aspects différents d'un même univers (Bouysse-Cassagne et Harris 1987 : 36). Derrière chacun d'eux se trouve un champ de significations particulier : ainsi, par exemple, les forces génésiques, clandestines, non socialisées, sont associées au "monde du bas", de "l'intérieur", tandis que celui du "haut", de l'"extérieur", porte des valeurs telles que l'ordre, la conservation ou le social. En effet, ces catégories ("du bas" et "du haut") semblent fonctionner comme une sorte de "matrice d'intelligibilité" (Lévi-Strauss 1976 : 16) permettant de structurer et donner un sens à des représentations aussi variées que celles de l'espace, de l'organisation sociale, du tissage (Cereceda 1993) ou encore de la cuisine (Vokral 1991).

L'examen d'un cas concret : celui de la musique carnaval, associée à la partie génésique et dangereuse de l'univers qui est le "monde du bas", l'inframonde, me permettra ici de me pencher sur certains aspects de la relation établie par les Jalq'a entre musique et conception de l'univers. Il s'agira de montrer que si les Jalq'a - comme probablement beaucoup d'autres peuples andins - pensent la musique à partir de la même "matrice" avec laquelle ils se représentent l'univers, ceci ne peut être compris comme une simple soumission de l'expression esthétique à des catégories de pensée plus vastes de la culture. Par sa nature sémiotique, l'acte de musique est à l'origine d'un ensemble de processus dynamiques à travers lesquels les andins créent avec les sons le monde qui est le leur.

Carnaval, comme toutes les musiques des Jalq'a, fait partie d'un cycle annuel qui possède deux particularités : d'une part, le temps complet de l'année se trouve distribué en périodes musicales pendant lesquelles certains instruments et mélodies peuvent être joués tandis que d'autres sont interdits ; et d'autre part, ce cycle n'est pas composé d'une simple succession de musiques ; en fait, trois découpages différents de l'année se superposent de manière telle que divers répertoires musicaux peuvent être exécutés simultanément. L'organisation annuelle de la musique donne donc naissance à une construction temporelle très complexe qui se double d'une dimension spatiale, car l'exécution des différentes musiques démarque des lieux précis de l'environnement, trace des parcours.

A chacun de ces découpages la musique attribue des significations précises. Ensemble, ces unités musico-temporelles construisent un sens plus global : celui de l'alternance entre les deux parties opposées et complémentaires de l'univers, les mondes "du haut" et du "bas".

La musique carnaval, la plus importante du cycle annuel, est jouée dans les communautés pendant plus de trois mois, dès la Toussaint le 2 novembre "lorsque les âmes des morts quittent le monde des vivants", et jusqu'au Dimanche de la Tentation, le dernier dimanche de Carnaval en février-mars. Elle couvre donc une période beaucoup plus vaste que la semaine pendant laquelle est fêté le Carnaval. C'est l'époque des pluies, les premières plantes commencent à sortir de la terre et le Carnaval, rituel de fertilité agricole marque la fin de l'époque des restrictions alimentaires.

Pour célébrer le Carnaval les Jalq'a dressent dans les cours des maisons , et pendant toute une semaine, une croix d'approximativement un mètre cinquante de hauteur. Recouverte de fruits, de fleurs et de nourriture en signe d'abondance cette croix protège les cultures du vent et de la grêle et favorise la fertilité du bétail. Pendant les jours de Carnaval la croix est constamment entourée de gens assis en demi-cercle qui boivent et mangent en son honneur. Les musiciens, des jeunes garçons et filles, se déplacent toujours en groupes visitant les maisons où sont érigées les croix. Pendant des heures ils tournent lentement autour de la croix en jouant de leurs instruments et en remplissant l'espace avec le son.

L'analyse des exégèses indigènes et des contextes d'exécution de la musique (carnaval est jouée pendant plus de trois mois) révèle que cette musique porte les significations du "monde du bas". En outre, carnaval est reconnue comme étant la plus ancienne des musiques. Elle est dite provenant d'un temps mythique antérieur, du temps des animaux sauvages, non domestiques, époque à laquelle "les animaux, les pierres, tous savaient parler...". En effet, les discours jalq'a mettent cette musique en relation avec un mythe fondateur andin qui, de manière générale, se réfère à une humanité antérieure possédant des pouvoirs magiques supérieurs à ceux de l'humanité actuelle. Cette humanité première brûle avec l'apparition du soleil - dans certaines versions, ses membres se cachent dans des tombeaux sous terre - néanmoins, elle reste dans un état léthargique, elle pourrait se réveiller à nouveau.

C'est donc à une catégorie spatio-temporelle (le "monde du bas" et le passé mythique) que renvoit la musique. Cet espace-temps est figuré par le saxra, divinité centrale du "monde du bas" associée au Diable catholique. C'est à lui que les Jalq'a se référent

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